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Un assureur condamné à indemniser un restaurateur des pertes d’exploitation causées par la COVID19

Dernière mise à jour : 26 mai 2020

Le Tribunal de commerce de Paris a rendu le 22 mai dernier une intéressante décision en matière d’indemnisation des conséquences économiques nées de la crise sanitaire actuelle et s’est ainsi prononcé en faveur d’un restaurateur quant à sa demande d’indemnisation de ses pertes d’exploitation auprès de son assureur. (Ordonnance de référé du 22/05/2020, SAS MAISON ROSTANG / SA AXA France IARD, RG n°2020017022)

Dans cette affaire, un restaurateur a assigné en référé son assureur afin d’obtenir l’indemnisation de son « préjudice constitué par les pertes d’exploitation résultant de la fermeture administrative de son restaurant » telle que prévue par son contrat d’assurance.


En défense, l’assureur sollicitait le rejet de la demande, et indiquait à cette fin que le risque relatif aux pertes d’exploitation consécutives à une pandémie était inassurable par un mécanisme d’assurance privée, raison pour laquelle ce risque n’était pas couvert par l’assureur en question.


Ce dernier excluait par ailleurs l’indemnisation de la perte d’exploitation au motif que l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, ne constituait pas une décision de fermeture administrative au sens du contrat et résultait de « la seule décision volontaire et non contrainte » du restaurateur.


Une décision favorable au restaurateur


Pour considérer l’urgence de la demande comme établie, justifiant ainsi la procédure en référé, le Président du Tribunal a pris en considération les éléments comptables fournis par le demandeur, attestant de difficultés financières sérieuses de son établissement, et notamment un déficit de trésorerie de 200.000 euros, tendant à s’aggraver de 45.000 euros d’ici la fin du mois de mai au titre de l’indemnité d’activité partielle des équipes du restaurant.


Si le Tribunal ne s’est pas exprimé sur le caractère inassurable du risque pandémique tant sur le plan économique que juridique, il s’est prononcé sur l’interprétation et l’application du contrat d’assurance, incluant les conditions générales ainsi que tout autre document appartenant à l’ensemble contractuel, ce dernier constituant, comme le souligne la juridiction, la loi des parties.


A ce titre, le Tribunal tire les conséquences de l’absence de mention expresse du caractère inassurable des conséquences d’une pandémie. En effet, faute de dispositions légales d’ordre public régissant ce risque, il appartenait à l’assureur de l’exclure précisément au sein de sa matrice contractuelle. A défaut, les pertes d’exploitation résultant de la fermeture administrative pour cause de risque sanitaire inhérente à une pandémie semblent donc couvertes.


Par ailleurs, le Tribunal réfute l’argumentation de l’assureur selon laquelle les pertes d’exploitation résulteraient d’une décision de fermeture prise par le chef d’entreprise. En effet, l’assureur soutenait que l’arrêté du 14 mars 2020 n’ordonnait pas expressément la fermeture des restaurants, mais se limitait à interdire l’accueil du public, permettant ainsi au restaurateur de « maintenir » son activité à emporter ou de livraison.


La juridiction retient dans un premier temps que le restaurant en question n’avait jamais eu une telle activité de vente à emporter ou de livraison, et que par conséquent, la mise en place d’une telle activité n’était pas autorisée. Elle continue en rappelant que l’accueil du public est fondamental pour un restaurant traditionnel, et qu’un tel arrêté ne saurait être considéré autrement que comme constituant une fermeture administrative, quand bien même celle-ci serait partielle en cas de maintien d’un service de vente à emporter ou de livraison.


Pour ces raisons, le Président du Tribunal a fait droit à la demande d’indemnisation du restaurateur, condamnant ainsi l’assureur à payer la somme de 45.000 euros à titre de provision, et a procédé à la nomination d’un expert ayant pour mission l’évaluation du montant des dommages résultant de la perte de marge brute, ainsi que celui relatif aux frais supplémentaires d’exploitation sur la période de fermeture administrative, montants susceptibles d’évoluer en fonction des prochaines mesures de sécurité sanitaire.


Une solution applicable au cas par cas, après analyse des dispositions contractuelles convenues entre les parties


On peut s’interroger sur la portée de cette première décision quant à l’indemnisation des pertes d’exploitation des entreprises des secteurs similaires à la restauration, à savoir par exemple les cafés, restaurants, bars, hôtels, discothèques, clubs de sport, et autres entreprises particulièrement impactées par les récentes mesures ordonnées visant à lutter contre la propagation de l’épidémie, et notamment l’interdiction d’accueil du public.


Toutefois, si cette première décision semble favorable aux acteurs du secteur de la restauration, certains éléments tendent toutefois à limiter son impact, et en tout état de cause rendent impossible la généralisation d’une telle solution.


En effet, outre le fait qu’il s’agit d’une procédure de référé limitant le débat au fond, l’assureur a d’ores et déjà fait savoir qu’il ferait appel de cette décision. Il faudra donc attendre l’arrêt d’appel qui précisera certainement le régime applicable en matière d’indemnisation des pertes d’exploitation dans le cadre de l’application des contrats d’assurance dans le contexte de l’épidémie de covid-19.


Il est surtout important de garder à l’esprit qu’une telle solution ne tend à s’appliquer qu’aux restaurateurs ayant souscrit un contrat indemnisant les pertes d’exploitation, et non seulement un contrat d’assurance indemnisant les dégâts, ce qui semble-t-il est assez courant dans ce secteur.


De plus, quand bien même un tel contrat d’assurance existerait, le Tribunal rappelle que l’assureur pouvait exclure conventionnellement la couverture de ce risque pandémique. Aussi, avant d’envisager une telle procédure, il sera indispensable d’analyser la matrice contractuelle applicable, afin de s’assurer de l’absence de clause excluant l’indemnisation des pertes d’exploitation dans un contexte de pandémie. Il n’est à cet égard pas rare qu’une telle clause soit précisée au sein de contrats d’assurance. En présence d’une telle clause, il faudra être vigilant quant à sa rédaction et son interprétation afin d’envisager la remise en cause de cette exclusion de garantie.


Quant à l’évaluation du dommage à indemniser, il est à noter que le Tribunal a pris le soin de souligner et mettre en caractères gras le terme « maintenir » au sujet de l’activité à emporter ou de livraison, ce qui semble démontrer la prise en compte par la juridiction de l’activité effective de l’assuré avant la crise sanitaire, considérant logiquement qu’on ne saurait reprocher à un restaurateur de ne pas avoir développé une nouvelle activité afin de « limiter » son dommage.


Par ailleurs, quand bien même le restaurateur aurait eu une activité à emporter, le Tribunal précise qu’en matière de restauration l’interdiction de recevoir du public est bien une fermeture administrative, cette dernière pouvant être considérée comme étant totale ou partielle, lorsque notamment le restaurant peut continuer d’assurer son activité à emporter. En tout état de cause, en cas de dédommagement de pertes d’exploitation consécutives à une fermeture partielle d’un établissement, le montant de l’indemnité d’assurance prendra nécessairement en considération la marge brute relative à l’activité de vente à emporter.



Dans l’attente de la position de la Cour d’appel, retenons que cette décision semble difficilement généralisable aux sociétés souffrant particulièrement de la crise économique et sanitaire actuelle. Une telle solution tend en effet à s’appliquer uniquement aux entreprises ayant souscrit un contrat indemnisant les pertes d’exploitation, sans exclure conventionnellement le risque pandémique. Il s’agira donc pour les juridictions d’apprécier au cas par cas les dispositions contractuelles existant entre l’assuré et son assureur.



François GODFRIN

Avocat à la Cour

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