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Mickey Mouse, enfin dans le domaine public ?!



INTERVIEW. Mickey dans le domaine public


« la reprise (…) de ce personnage nécessitera une extrême prudence »


Les droits d'auteur du dessin animé « Le Bateau à vapeur de Willie », datant de 1928 et ayant introduit la célèbre souris de Walt Disney, ont (enfin) expiré, le 1er janvier 2024. Désormais, la toute première version de Mickey Mouse et de Minnie est tombée dans le domaine public. Mais comment cela fonctionne-t-il précisément ? François Godfrin, avocat au barreau de Paris spécialisé en droit de la propriété intellectuelle, nous éclaire sur le sujet.


JSS : Ça y est, la version originale de Mickey Mouse issue du court-métrage de 1928 vient de rejoindre le domaine public !


François Godfrin : En effet, c’est LA news de ce début d’année que personne n’a pu manquer : Mickey Mouse et sa compagne Minnie sont « tombés » dans le domaine public ! Ainsi, quiconque peut désormais exploiter à titre gratuit comme commercial, l’image de ce personnage.


Toutefois, il convient de nuancer cette affirmation. En effet, le « Mickey » qui appartient désormais à tout le monde, ou plutôt qui n’appartient plus à personne, correspond à la version du personnage issue du court-métrage de 1928, à savoir une souris noire et blanche avec de grands yeux, qui ne ressemble finalement pas vraiment au personnage que l’on connait aujourd’hui qui est généralement représenté avec un short rouge, des chaussures jaunes et surtout ses iconiques gants blancs !


Ces dernières versions du personnage sont quant à elles encore protégées par le droit d’auteur, et ne sauraient être reprises par quiconque sans l’accord préalable de Disney.


JSS : Pourquoi cela a-t-il pris autant de temps ?


F.G. : Tout simplement grâce ou plutôt à cause de Disney. Pour la petite histoire, lorsque le film « Steamboat Willie », au sein duquel apparait pour la première fois le personnage de Mickey, a été diffusé, le droit d’auteur aux Etats-Unis prévoyait une protection d’une durée de 56 ans. Mickey aurait donc dû appartenir au domaine public dès 1984.


Pourtant, sous l’impulsion de Disney – dont la puissance ne fait aucun débat – la durée de protection a été allongée une première fois en 1976, à 75 ans pour toutes les œuvres postérieures à 1922. Mickey repoussait donc son entrée dans le domaine public à 2003.


Vingt années après ce « copyright act », fut adopté le « Copyright Term Extension Act », plus connu sous le nom « Mickey mouse Protection Act » – en raison du lobbying intense exercé par la firme aux grandes oreilles – lequel consacra une nouvelle extension de protection, portant celle-ci à 95 ans après la première publication, permettant un monopole d’exploitation du personnage de Mickey jusqu’au 1er janvier 2024.


JSS : Quelles sont les actions possibles pour Disney à présent ?


F.G. : Il est certain que Disney va se montrer particulièrement vigilant quant aux reprises qui seront faites de son personnage le plus notoire.


Par exemple, dans l’hypothèse de l’exploitation d’un personnage qui se rapprocherait un peu trop de la version actuelle de Mickey, Disney pourrait alors initier une procédure en contrefaçon de droit d’auteur, dont l’appréciation de la reprise résulterait des juges.

Par ailleurs, Disney a d’ores et déjà procédé à l’enregistrement de son personnage à titre de marque, que ce soit son nom « Mickey », mais également sa représentation graphique. Si la jurisprudence et la doctrine sont partagées quant à la possible protection par le droit des marques (qui rappelons le, permet une protection sans limite de durée, le renouvellement étant possible indéfiniment, ndlr) des œuvres qui appartiennent au domaine public, il est certain qu’une marque enregistrée permet à son titulaire de s’opposer efficacement à l’utilisation, dans la vie des affaires, d’un signe similaire ou identique, pour présenter des produits et/ou services identiques ou similaires, voire pour des produits différents lorsqu’il s’agit d’une marque de renommée (connue de tous).


Disney sera donc en mesure de s’opposer à toute utilisation « à titre de marque » de son Mickey de 1928 ou de son nom, dès lors que cette utilisation sera susceptible de créer un doute quant à l’origine du produit ou service proposé.


Enfin, s’agissant des autres actions possibles pour Disney, il n’est pas exclu qu’une action en concurrence déloyale ou parasitaire permette de faire sanctionner un comportement commercial, qui serait susceptible de créer une confusion dans l’esprit du public ou s’il est établi que le « parasite » profite indument et sans bourse délier, des efforts intellectuels et financiers de Disney, en s’immisçant dans le sillage de sa renommée.


En conclusion, si la reprise des éléments caractérisant ce personnage devient possible, elle nécessitera une extrême prudence.


JSS : Les personnages de fiction font l'objet d'un contentieux conséquent…


FG : Pour rappel, les personnages dessinés ou tirés d’une œuvre littéraire ou audiovisuelle peuvent en eux-mêmes être protégés par le droit d’auteur, indépendamment de l’œuvre dans laquelle ils apparaissent. Il en est de même pour leur nom qui peut être considéré comme une œuvre de l’esprit dont l’auteur est fondé à faire respecter la propriété.


Si les personnages de fiction font l’objet d’un contentieux important, notamment en matière de contrefaçon, mais également s’agissant des litiges fondés sur la concurrence déloyale et parasitaire, c’est parce qu’ils sont le support idéal pour véhiculer un univers créatif dont le succès est d’ores et déjà établi.


« Il semble logique et nécessaire que toute œuvre puisse un jour appartenir à tout le monde afin de permettre à celle-ci d’être largement diffusée et accessible à tous, et que chacun puisse se l’approprier, s’en inspirer (…) »


Les reprises sont donc un moyen de s’octroyer un public déjà conquis, une clientèle déjà acquise, permettant ainsi de faire l’impasse sur les investissements conséquents, qu’ils soient financiers ou créatifs.


De tels agissements se doivent d’être sanctionnés efficacement, afin de permettre uniquement aux titulaires des droits, ou ceux qui ont été autorisés, de pouvoir exploiter ces « œuvres ». C’est le même principe que pour les brevets. Il est nécessaire de permettre à celui qui consacre des efforts créatifs ou financiers, de bénéficier d’un monopole quant à l’utilisation de sa création, afin de récompenser et encourager justement ce processus créatif.


Cela implique néanmoins des frais de défense pour les titulaires de droits, qui se doivent d’agir automatiquement pour faire sanctionner ces comportements.


JSS : Quelles différences notables entre la législation française et la législation américaine existe-t-il en droit de la propriété intellectuelle ?


F.G. : Outre les modalités de détermination de la rémunération des auteurs (dont l’analyse comparative ne présente pas un réel intérêt ici) et la durée de protection qui n’est pas identique, la différence évidente entre le régime de protection du droit d’auteur en France et aux Etats-Unis réside dans la nécessité de procéder, ou non, à un enregistrement.


En effet, en France, la protection au titre du droit d’auteur ne nécessite aucun dépôt et est seulement conditionnée à la caractérisation de l’originalité de l’œuvre. L’originalité est acquise dès lors que la création est le fruit de l’activité créative empreinte de la personnalité de son auteur. Dès lors, tout auteur peut agir sur le fondement de la contrefaçon de son œuvre sans avoir à effectuer la moindre formalité préalable, même s’il est souvent conseillé de s’aménager la preuve de la date de sa création en procédant au dépôt d’une enveloppe Soleau, qui permet d’obtenir une date certaine faisant foi devant un Tribunal.


Aux Etats-Unis, si le droit d’auteur existe automatiquement lors de la création d’une œuvre, il est nécessaire de procéder à son enregistrement auprès de l’Office américain « US Copyright Office » afin de rendre publique sa revendication de droit d’auteur. Il s’agit d'un prérequis incontournable en cas de litige mettant en cause les droits exclusifs du droit d’auteur.


JSS : Quelles sont les limites du domaine public ?


FG : Rappelons qu'en France, le droit d’auteur se compose de droits patrimoniaux (comprenant notamment le droit d’exploiter une œuvre) et d’un droit moral (qui comprend entre autres le droit à la paternité et le droit au respect et à l’intégrité de l’œuvre).


Le Code de propriété intellectuelle dispose à son article L.123-1 que « L'auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d'exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d'en tirer un profit pécuniaire. Au décès de l'auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l'année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent. ». La loi consacre donc une protection du droit patrimonial pour une durée de 70 années après la mort de l’auteur.


Le droit moral est quant à lui dit perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il survit donc à la mort de l’auteur, à l’extinction des droits patrimoniaux, au temps, et même à la volonté de l’auteur.


Lorsqu’on dit qu’une œuvre tombe dans le domaine public, ce n’est finalement que le droit patrimonial qui est concerné.


Ainsi, si le titulaire des droits (l’auteur ou ses ayants droit) ne pourra plus s’opposer à l’exploitation, commerciale ou non, de l’œuvre, il pourra toujours s’opposer à des utilisations qui violeront le droit moral de l’auteur, à savoir par exemple lorsque l’œuvre ne sera pas diffusée sous le nom ou le pseudo de l’auteur, ou encore si l’œuvre est dénaturée.


Ainsi, si l’œuvre peut désormais être reproduite librement, cette liberté n’est pas sans limite.


JSS : Quelles sont les œuvres qui tomberont dans le domaine public, en France, prochainement, et pourquoi est-ce important que le domaine public soit fréquemment abondé ?


FG : Chaque année, de nombreuses œuvres appartiennent nouvellement au domaine public. Cela concerne tout type d’œuvre, audiovisuelle, littéraire, musicale, graphique, architecturale, etc.


L’exemple le plus notoire cette année concernait Mickey Mouse, mais on peut également citer des classiques américains tels que le film « Le cirque » de Charlie Chaplin, ou encore, concernant cette fois l’expiration du droit d’auteur français de « Bécassine » dont l’auteur est mort en 1953.


L’entrée dans le domaine public de telles œuvres est essentielle pour l’essor créatif et culturel. C’est pourquoi il me semble regrettable d’utiliser systématiquement l’expression péjorative « tomber dans le domaine public » qui finalement se fait l’écho de la vision de perte du monopole d’exploitation du titulaire des droits.


La durée – plutôt longue – de protection du droit d’auteur, que ce soit aux Etats-Unis et en France est censée pouvoir permettre à l’auteur de profiter d’une exclusivité d’exploitation de son œuvre toute la durée de sa vie et pendant une période suffisamment longue après sa mort pour que ses héritiers qu’il a connus, puissent également en bénéficier selon les modalités qu’ils ont choisies.


Toutefois, il semble logique et nécessaire, pour la culture et pour l’inspiration des nouvelles générations, que toute œuvre puisse un jour appartenir à tout le monde afin de permettre à celle-ci d’être largement diffusée et accessible à tous, et que chacun puisse se l’approprier, s’en inspirer, la copier, l’adapter, l’interpréter ou l’exploiter, gratuitement et sans avoir à obtenir une quelconque autorisation.


Finalement le régime du droit d’auteur permet un juste équilibre entre les droits des créateurs, que ce soit l’auteur de l’œuvre objet du droit d’auteur, ou les créateurs ultérieurs qui utiliseront celle-ci pour créer de nouvelles œuvres.


Enfin, la reprise d’une œuvre à succès n’est pas nécessairement synonyme de réussite. En témoigne la reprise ratée du personnage de Winnie l’Ourson (Disney) dont l’entrée dans le domaine public en 2023 avait donné lieu à la diffusion d'un film d’horreur « Winnie the Pooh » dont les critiques ont été plus que mitigées.


Désormais, reste à voir comment sera exploité Mickey dans les prochains mois, et les éventuelles actions qui seront initiées par Disney…


Propos recueillis par Romain Tardino

pour le Journal Spécial des Sociétés


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