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Le champagne et le droit de la propriété intellectuelle

Pendant les fêtes de fin d’année, on en a usé, on en a peut-être abusé, le champagne était, comme chaque année, sur toutes nos tables.


Aujourd’hui devenu véritable symbole de fête, et pour cause, au XVIIIe siècle, les rois se faisaient couronner à Reims et festoyaient en buvant le « vin local » : le champagne ! Dès lors, l’habitude fut prise de « célébrer » avec ce vin.


Napoléon considérait d’ailleurs ce nectar comme essentiel, et aurait déclaré « Je ne peux vivre sans champagne, en cas de victoire, je le mérite, en cas de défaite j'en ai besoin. ».


En ce début d’année 2023, c’est donc l’occasion de revenir sur cette boisson exclusivement française, qui fait l’objet de nombreux droits de propriété intellectuelle.


1 – Le Champagne et le droit des marques

2 – Le Champagne et l’AOC/AOP

3 – Le Champagne et les dessins et modèles

4 – Le Champagne et le brevet

5 – Le Champagne et le droit d’auteur

6 – Le Champagne et la concurrence déloyale et parasitaire


Pour toute question inhérente au droit de la propriété intellectuelle ou en matière de concurrence déloyale et/ou parasitaire, il est fortement recommandé de solliciter l’accompagnement d’un professionnel du secteur, qui a l’habitude de ce type de procédure et qui saura vous éclairer sur les chances de succès d'une procédure, et pourra vous orienter vers la stratégie la plus adaptée à votre situation.


I. Le champagne et le droit des marques[1]


Une marque est un signe verbal (texte), figuratif (logo), ou semi-figuratif (logo incluant du texte), qui permet à une entreprise d’individualiser ses produits, ses services par rapport à ceux proposés par ses concurrents. La durée de protection est indéterminée et peut être renouvelée tous les 10 ans.


Les conditions de protection sont les suivantes :

  • Distinctivité : le signe doit être apte à distinguer un produit ou service. Il doit être arbitraire par rapport à ce qu’il désigne et ne doit donc pas être générique/descriptif.

  • Disponibilité : le signe ne doit pas porter atteinte aux droits de tiers antérieurs. Il est généralement conseillé de mener une recherche d’antériorités.

  • Non déceptivité : le signe ne doit pas induire le public en erreur sur la nature, la qualité ou la provenance du produit ou service.

  • Conformité à l’ordre public et aux bonnes mœurs

Concernant le champagne, dès sa création, il a été essentiel pour les Maisons de Champagne de se différencier les unes des autres.


a. L’utilisation du nom patronymique


Ainsi, pour démarquer leur production, les Maisons ont rapidement pris conscience de l’importance du nom de leur Maison, qui en constituait la marque de fabrique.


De nombreuses marques de champagne sont constituées par le nom de famille, le nom du domaine, ou encore par les armoiries familiales des viticulteurs ayant fondé leur Maison de champagne, à l’instar des armoiries pontificales présentes sur la bouteille de Châteauneuf du Pape.


Ces marques bénéficient d’une notoriété importante, et sont le gage d’une assurance pour le consommateur, quant à la qualité du champagne.


Cela n’est pas sans créer des problèmes au fil des générations. En effet, les descendants de vignerons ayant fondé certaines Maisons, qui ont cédé leurs droits sur la marque ou n’en ont pas hérité, peuvent être tentés d’exploiter des vignes en Champagne et créer une nouvelle marque, portant leur nom.


Toutefois, si un nom patronymique peut être enregistré à titre de marque, et constitue souvent le « juste motif »[2] permettant de bénéficier de l’exception opposable en matière d’antériorité, les litiges portant sur ces homonymies en Champagne, sont souvent tranchés en considération de la bonne ou mauvaise foi du déposant quant à l’utilisation de son nom, afin de déterminer s’il cherche à tirer profit de la notoriété acquise par la marque pour la promotion et la communication autour de son produit, caractérisant un risque de confusion dans l’esprit du consommateur, et constituant un acte de concurrence déloyale et parasitaire.


Par exemple, dans la saga judiciaire opposant Madame Virginie Taittinger et la Maison TAITTINGER, la Cour de cassation a considéré que l’usage du nom « Taittinger » dans la communication de Madame Virginie Taittinger visait à établir son identité et son expérience dans le domaine du Champagne, constituant ainsi un usage honnête en matière industrielle et commerciale. [3]







​Marque du champagne TAITTINGER

​Marque du champagne de Madame Virginie Taittinger

Dans le même sens, la Cour d’appel de Paris a refusé de faire droit à la demande de la Maison HENRIOT, d’interdire l’utilisation de la dénomination « Champagne Serge Henriot » par Monsieur Serge Henriot, considérant en effet sa bonne foi dans l’utilisation de son nom patronymique et la fréquence élevée des homonymies dans le domaine du champagne.[4]


Toutefois, il ne s’agit pas d’une règle absolue. En témoigne la décision de la Cour de cassation faisant interdiction à la société Champagne Royer Père et Fils d’utiliser ses marques « Royer & Cie » et « Royer », déposées en 2010, en considération de l’existence de la marque antérieure « Jean-Jacques et Sébastien Royer », déposée en 2002 par la société Royer Jean-Jacques, la Cour considérant en effet l’existence d’une intention déloyale et une volonté d’entretenir la confusion.[5]


b. L’utilisation de signes semi-figuratifs


D’autres types de marques ont également pris de l’importance, à savoir par exemple des marques semi-figuratives ou figuratives :

Une étiquette dont la forme particulière est facilement identifiable, telle que celle de Dom Pérignon (Marque française n° 1558732 déposée le 07/11/1989).


Un dessin, telle que l’anémone dessinée par le célèbre artiste nancéien, Émile Gallé, qui orne les bouteilles des champagnes millésimés Belle Époque de la Maison Perrier-Jouët (Marques françaises n° 4096272 et n° 4244439).


c. L’utilisation de signes tridimensionnelles


Une marque tridimensionnelle est constituée d’un signe figuratif à trois dimensions, protégeant la forme d’un produit ou son conditionnement ou encore la forme caractérisant un service, à l'exclusion des signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.


L’intérêt d’une telle marque est de protéger la forme d’un produit pour une durée indéterminée, à condition de procéder au renouvellement de la marque, à la différence d’un dessin et modèle qui a une durée maximale de 25 années.


Certaines Maisons ont ainsi souhaité protéger la forme de leur bouteille, présentant certaines particularités, par l’enregistrement de marques tridimensionnelles :



Le flacon de la Maison Nicolas Feuillatte qui comprend de nombreuses aspérités arrondies sur toute sa surface (Marque française n° 98746993)




Le flacon de la Maison des frères Chanoine pour leur champagne Tsarine dont la bouteille présente des stries sur toute sa surface (Marque française n° 99787616)




Le flacon de la Maison Armand De Brignac dont l’aspect est chromé et qui présente un as de pique fortement visible et reconnaissable (Marque de l’UE tridimensionnelle n° 018430598)




Par ailleurs, certaines Maisons utilisent des bouteilles dont la forme se distingue de la traditionnelle bouteille champenoise (telles que par exemple Ruinart, Krug, Bollinger, Deutz), et ont enregistré cette forme à titre de marque.


Toutefois, la jurisprudence actuelle tend à démontrer que ces marques, bien que valablement enregistrées, sont difficilement opposables dans des litiges de contrefaçon, eu égard notamment au fait que, bien que différentes de la bouteille traditionnelle, ces formes « spéciales » reprennent néanmoins les caractéristiques classiques d’une bouteille.


En témoigne la récente décision du Tribunal Judiciaire de Paris à propos de la bouteille de Ruinart Blanc de Blanc, protégée par une marque française tridimensionnelle, et bénéficiant d’une renommée certaine, mais qui, selon le Tribunal, reprend une « combinaison particulière d’éléments en eux-mêmes banals et faiblement distinctifs », de sorte que des différences, même légères, ou la non reprise de l’intégralité d’entre eux suffit à exclure l’atteinte à la renommée de la marque.[6]





Marque française tridimensionnelle n°4493472

Bouteille litigieuse

Il en avait été de même à propos de la cuvée MOËT & CHANDON – ICE IMPERIAL présentant, selon la société MHCS, un habillage inédit, et faisant l’objet d’une marque tridimensionnelle.

Marque 3D de l'UE n° 008837585


La Cour d’appel avait considéré que les produits commercialisés par d’autres sociétés, ne constituaient pas des contrefaçons de la marque en question, eu égard notamment aux différences existantes et à la banalité des éléments constituant la marque pris isolément. La Cour avait également relevé que l’élément distinctif de cette marque tridimensionnelle était le signe dénominatif « MOËT & CHANDON », qui constitue, pour le consommateur, l’élément déterminant lors de l’acte d’achat d’une bouteille, en ce qu’il permet de connaitre l’origine du produit.[7]

Bouteilles litigieuses


II. Le champagne et les AOC/AOP[8]


En sus des marques permettant de garantir l’origine « commerciale » d’un produit, il existe des signes officiels qui peuvent être apposés sur tous les produits qui satisfont à des critères précis, garantissant au consommateur, la provenance d’un produit et le savoir-faire humain impliqué dans sa production.


Outre l’indication géographique protégée (IGP), qui est attribuée à un produit dès lors qu’au moins une des étapes de sa production est réalisée dans une zone géographique définie, il existe 2 autres signes d’identification de qualité et d’origine (SIQO), à savoir l’AOC et l’AOP, qui s’appliquent au domaine du champagne.

  • L’appellation d’origine contrôlée (AOC) est un signe officiel, reconnu au niveau européen depuis 1992, utilisé sur des produits qui ont une origine géographique précise et qui possèdent des qualités, une notoriété ou des caractères essentiellement dus à ce lieu d'origine, à savoir notamment les caractéristiques géologiques et météorologiques.

  • L’appellation d’origine protégée (AOP) nécessite quant à elle que toutes les étapes de fabrication du produit soient réalisées dans une même zone géographique, selon un savoir-faire reconnu et respectant un cahier des charges précisant les méthodes d’élaboration des vins, homologué par le ministère de l’agriculture et la Commission Européenne.

Ces signes permettent d’assurer au consommateur, grâce à un contrôle officiel, que le produit est issu d’un terroir particulier, et que sa production a respecté des conditions définies officiellement, lui garantissant la qualité du produit.


Le domaine viticole français est riche de ses nombreux terroirs, cépages, sols et climats qui offrent une variété de goûts et de saveurs, qui ont fait la renommée de la France en la matière. A ce titre, il existe en France, 17 régions viticoles, et 380 appellations, permettant la production de plus de 3000 vins différents, et notamment l’appellation Champagne qui regroupe à elle seule 17 terroirs et plus de 300 crus !

Carte de la Champagne


L’élaboration de l’AOC protégeant le vin de Champagne a nécessité plusieurs siècles, afin de définir les cépages (essentiellement le pinot noir, le meunier et le chardonnay), la délimitation géographique et la méthode d’élaboration de ce vin (cueillette manuelle, pressurage, assemblage de différents crus, deuxième fermentation en bouteille selon la méthode champenoise, remuage, dégorgement, dosage, ainsi qu’un temps de maturation minimum) afin de répondre aux spécificités de l’appellation.


En fonction de la zone où la vigne est cultivée, il existe 3 sous-catégories d’AOC, reflétant la qualité des raisins, à savoir, Grand cru, Premier cru et Autre cru.

Le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) est très actif quant à la protection et la défense de l’appellation, en France et à travers le monde.


Il existe de nombreux exemples illustrant l’opposition du CIVC à l’utilisation du terme Champagne en dehors des critères de l’AOC. En témoigne la célèbre affaire du parfum « Champagne » de Yves Saint Laurent, dont la vente fut interdite avec injonction de changer de nom.[9]


Plus récemment, le CIVC s’est opposé avec succès à l’enregistrement de la marque « Champagnola » devant l’Office européen de la propriété intellectuelle[10], puis de la marque « Champanillo » devant l’Office espagnol de la propriété intellectuelle, et a obtenu gain de cause devant la CJUE, qui a confirmé que la protection de l’AOP s’étend à toute utilisation visant à profiter de la réputation associée aux produits visés par l’AOP, quand bien même il s’agirait d’une simple évocation.[11]

Encore plus récemment, le CIVC a eu gain de cause devant le Tribunal judiciaire de Paris, qui a retenu le grief de contrefaçon à l’encontre de boissons sucrées dénommées « Couronne Fruit Champagne », eu égard notamment à l’apposition à l’identique de l’AOP, le consommateur européen moyen pouvant dès lors être amené à faire un lien direct et univoque avec l’appellation d’origine protégée.[12]


L’AOP/AOC « Champagne » est donc un moyen de protection particulièrement efficace.


On peut néanmoins regretter certaines actualités comme la loi fédérale Russe 345-FZ du 2 juillet 2022, selon laquelle l’appellation « Shampanskoe » est dorénavant réservée aux vins russes, les producteurs de Champagne étant désormais contraints d’utiliser le terme « vin mousseux » pour désigner leur produit.


III. Le champagne et le droit des dessins et modèles[13]


Un dessin et/ou modèle permet de protéger l’apparence d’un produit ou une partie de celui-ci (ses lignes, ses contours, ses couleurs, sa forme, sa texture ou ses matériaux), pendant 25 ans au maximum (par périodes de 5 années).


Les conditions de protection sont les suivantes :

  • Nouveauté : lorsqu’aucun dessin et modèle identique (qui ne diffère que par des détails insignifiants) n’a été divulgué à la date du dépôt.

  • Caractère propre : Lorsque l’impression visuelle d’ensemble que suscite le dessin et modèle chez l’observateur averti diffère de celle produite par tout dessin et modèle divulgué antérieurement.

Attention toutefois, une apparence imposée par la fonction technique du produit n’est pas protégeable.


Si jusqu’au XVIIIème siècle le champagne ne se vendait qu’en fûts pour des raisons fiscales (le tonneau étant en effet plus facilement taxable que des bouteilles), Louis XV autorise le commerce de bouteilles de vin par un arrêt du Conseil royal en 1728, ce qui marque le début du champagne.


Dès lors, la bouteille de champagne permet le stockage et la conservation des arômes, et facilite sa commercialisation et donc son essor.


Si à l’origine la bouteille de champagne n’avait qu’une seule forme et couleur, les Maisons de champagne ont réalisé rapidement que cette bouteille constituait également un formidable outil de promotion commerciale, que ce soit par sa forme.


Ainsi, de nombreuses Maisons ont choisi de concevoir une bouteille propre à leur champagne, et qui diffère de la bouteille champenoise (telles que par exemple Ruinart, Krug, Bollinger, Deutz), et ont enregistré des dessins et modèles représentant la forme de leur flacon, à l’instar de :


La Maison Charles Heidsieck, dont le flacon comprend un col élancé et une double bague (Dessin et modèle français n° 67419)





La Maison Chanoine Frères, dont la bouteille du champagne Tsarine comprend des stries sur sa surface (Dessin et modèle français n° 974238)




La Maison Nicolas Feuillatte, dont la bouteille comprend de nombreuses aspérités arrondies sur toute sa surface (Dessin et modèle international n° 023248)



La Maison Perrier-Jouët, dont la bouteille comprend des dessins de fleurs à sa surface (Dessin et modèle international n° 97795)



Toutefois, bien que de nombreuses bouteilles aient des formes particulières, reconnaissables par les amateurs de champagne, celles-ci ne se distinguent pas toujours suffisamment de l’esthétisme classique d’une bouteille, rendant leur protection par le droit des dessins et modèles inopérant, les conditions de protection n’étant pas satisfaites. C’est pourquoi les Maisons ont généralement doublé cette protection par l’enregistrement d’une marque tridimensionnelle.


Mais les dessins et modèles en la matière ne se limitent pas à la forme de la bouteille de champagne. Une rapide recherche sur les bases de données démontre l’existence de nombreux dessins et modèles portant sur tous les accessoires du champagne, allant du seau à champagne, au verre, en passant par les bouchons, ou encore les étiquettes et les illustrations décorant les bouteilles.





Dessin et modèle international n° 023096 (Étiquette et bouteille de Dom Perignon)

Dessin et modèle français n° 830475 (Dessin de fleurs présent sur les bouteilles de Perrier-Jouet)

À propos de la forme des verres à champagne, j’avais eu l’occasion de m’entretenir avec une personne de la maison KRUG concernant la conception de leur verre iconique dénommé « Joseph », fruit de recherches, et d’un savoir-faire aboutissant à une forme de tulipe permettant d’apprécier au maximum le champagne, en offrant à celui-ci une large surface d’échange avec l’air, afin qu’il puisse « s’ouvrir », et un col resserré afin de concentrer l’ensemble des arômes au niveau du nez, avec justement une ouverture assez large pour avoir les narines à l’intérieur du verre au moment de le porter à ses lèvres, à la différence d’une flûte classique.[14]


Toutefois, force est de constater que ce verre n’a fait l’objet d’aucun dépôt de dessin et modèle, et pour cause, la forme du verre, quoi que recherchée, correspond à l’esthétisme commun d’un verre à pied, et ne remplit dès lors pas les critères de protection d’un dessin et modèle.


A cet égard, rappelons la récente décision de la Cour de cassation, opposant la société Lalique à la société Habitat France, selon laquelle l’appréciation de l’existence de la contrefaçon d’un dessin et modèle de verre à vin, nécessite de vérifier l’impression visuelle d’ensemble produite par les verres, dans leur intégralité, et non uniquement en se focalisant sur l’impression produite par les tiges respectives.[15]





Dessin et Modèle de l’UE n° 002109439-0001 (Lalique)

Verre litigieux (Habitat France)


IV. Le champagne et le brevet[16]


Le brevet permet de protéger une invention/innovation technique durant une période de 20 ans.


Les conditions de brevetabilité sont les suivantes :

  • Solution technique à un problème technique.

  • Nouveauté : l’invention ne doit pas porter sur une innovation qui a déjà été rendue accessible au public, quels qu’en soient l’auteur, la date, le lieu, le moyen et la forme de cette présentation au public.

  • Activité inventive : l’invention ne doit pas découler de manière évidente de la technique connue de l’homme du métier.

  • Application industrielle : l’invention doit pouvoir être fabriquée ou utilisée quel que soit le type d’industrie.

Afin de faciliter et d’augmenter sa production, le champagne a fait, et fait encore, l’objet de nombreux brevets (plus de 500), que ce soit concernant sa conception, sa conservation ou encore son transport.


S’il existe une multitude d’inventions présentant des machines remplaçant l’humain dans le cadre des manipulations nécessaires à son élaboration, ou encore des innovations portant sur le flacon (bouteille), l’un des éléments ayant été le fruit d’une réflexion particulière et essentielle concerne le bouchon inhérent aux vins effervescents, dont le maintien fut un véritable défi, eu égard à la pression à l’intérieur de la bouteille.


En effet, initialement le bouchon était maintenu par de la cire et des ficelles qui furent rapidement remplacées par du fil de fer, plus résistant à travers le temps. Toutefois, avec la pression, le bouchon – en liège dès l’origine – finissait bien souvent par se fendre au niveau du fil de fer, ce qui entrainait des difficultés d’étanchéité.

Une solution à ce problème technique fut trouvée par Adolphe Jacquesson, négociant en vin, qui déposa un brevet en 1844 dont le principe était d’intercaler une plaque de fer entre le bouchon et le fil de fer, afin d’éviter que celui-ci ne s’incruste dans le bouchon en liège sous l’effet de la pression.


Ce dispositif fut perfectionné à de nombreuses reprises par la suite, jusqu’à l’obtention du dispositif appelé « muselet » que l’on connait aujourd’hui, composé d’une cage en fil de fer, et d’une plaque en fer sur laquelle est généralement inscrite la marque de la Maison, qui se place sur le bouchon en liège, et se resserre au niveau des bagues situées sur le goulot de la bouteille.


V. Le champagne et le droit d’auteur[17]


Le droit d’auteur protège une œuvre de l’esprit dès sa création quels que soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. Cette protection est donc particulièrement large, notamment pour la création d’objet de décoration ou d’art avec un certain design.


La protection est conditionnée à l’originalité de l’œuvre. Il s’agit de rechercher l’empreinte de la personnalité de l’auteur.


Une telle protection ne nécessite aucun dépôt particulier, toutefois il peut être crucial pour le créateur de se préparer une preuve valant date certaine, en procédant, par exemple, au dépôt d’une enveloppe Soleau.


Un tel droit permet d’empêcher toute reproduction sauf autorisation.


Dans le domaine des litiges inhérents au champagne, le droit d’auteur ne semble pas habituel, et pourtant l’exclure serait une erreur. En effet, le droit d’auteur s’applique dès lors qu’une création présente une certaine originalité caractérisant l’empreinte de la personnalité de son auteur.


A cet égard, le droit d’auteur pourrait s’appliquer à certaines bouteilles déjà mentionnées, à l’instar de la bouteille de la Maison Perrier-Jouët « Belle Époque », dont les dessins d’anémone ont été réalisés par le plus célèbre artiste de l’art nouveau, qui constitue une véritable œuvre d’art.

Dans un autre registre, les bouteilles entièrement chromées de différentes couleurs de la Maison Armand de Brignac pourraient, à mon sens, tout à fait satisfaire à la condition de protection au titre du droit d’auteur.

La Cour d’appel de Douai a par ailleurs récemment confirmé la protection par le droit d’auteur d’une table de dégustation œnologique, considérant en effet que l’aspect esthétique de celle-ci portait l’empreinte de la personnalité de son auteur et exprimait des choix créatifs, personnels et arbitraires, sans que son apparence singulière ne soit exclusivement dictée par sa fonction.[18]



VI. Le champagne et la concurrence déloyale et parasitaire[19]


Outre les droits de propriété intellectuelle qui permettent d’agir en contrefaçon en cas de reproduction sans l’accord du titulaire des droits, il est possible d’agir en fondant son action sur la responsabilité civile délictuelle, en démontrant notamment des actes de concurrence déloyale et/ou parasitaire.

  • La concurrence déloyale permet de faire sanctionner le comportement déloyal d’un concurrent, tel que par exemple la recherche de confusion avec un concurrent, de par l’imitation des codes esthétiques, charte architecturale et graphique, design, nom, enseigne, nom de domaine, site internet, produits, indications trompeuses laissant croire à un partenariat ou à un lien quelconque avec l’entreprise concurrente.

Le but est de générer une confusion dans l’esprit du public cible afin de détourner la clientèle.


Par ailleurs, outre les pratiques condamnables de « cybersquatting » ou « typosquatting » qui concernent les réservations abusives de nom de domaine, l’utilisation frauduleuse d’un nom de domaine similaire est de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit du public, caractérisant une déloyauté certaine.

  • Le parasitisme est constitué lorsqu’une entreprise s’immisce dans le sillage d’une autre société afin de tirer profit de façon injuste de sa réussite, de sa notoriété, de son savoir-faire et/ou de ses investissements intellectuels, humains, et/ou financier, « sans bourse délier » faisant ainsi l’économie du moindre effort créatif ou financier.

Ainsi, le droit vient sanctionner le détournement et le pillage des investissement humains et financier d’une société par une autre.


Le seul fait de s’inspirer de la valeur économique de son concurrent qui a réalisé des investissements afin de promouvoir sa marque et ses produits suffit à caractériser un agissement parasitaire.


Au sein du secteur des alcools et boissons, de telles actes déloyaux se rencontrent assez fréquemment, et en cas d’échec de l’action en contrefaçon, il n’est pas rare que le parasitisme et/ou la déloyauté soient retenus.


A cet égard, la Maison Louis Roderer, qui utilise le terme « CRISTAL » depuis 1876, décliné pour certains millésimes dans une version « CRISTAL ROSE », s’est aperçue qu’une société distribuait des bouteilles ayant l’apparence de bouteilles de champagnes et revêtues de la dénomination « Bulles de Cristal Rosé ». Le Tribunal a considéré que le signe litigieux constituait une contrefaçon de la marque de champagne, et a également retenu le parasitisme, considérant en effet que la société en question avait cherché à profiter de la réputation de la cuvée Cristal.[20]

Par ailleurs, comme déjà évoqué, si la Cour d’appel n’a pas retenu la contrefaçon de la marque tridimensionnelle concernant la bouteille de MOËT & CHANDON – ICE IMPERIAL, elle a néanmoins fait droit à la demande au titre du parasitisme, eu égard à la reprise servile des éléments de la bouteille, aucunement commandé par les circonstances, révélant une volonté délibérée de profiter des investissements engagés par MOËT & CHANDON.[21]


* * *


En conclusion, retenons que le champagne est une création française qui a su utiliser, dès sa « découverte » par le moine Dom Pérignon en 1670, les outils juridiques nécessaires à sa protection, et qui ont contribué, c’est certain, à garantir sa renommée, son prestige et son succès à travers les siècles et de manière internationale.



François GODFRIN Avocat à la Cour 20 avenue de l'Opéra - 75001 PARIS

06 95 36 49 36 fg@avocat-godfrin.com



Pour toute question inhérente au droit de la propriété intellectuelle ou en matière de concurrence déloyale et/ou parasitaire, il est fortement recommandé de solliciter l’accompagnement d’un professionnel du secteur, qui a l’habitude de ce type de procédure et qui saura vous éclairer sur les chances de succès d'une procédure, et pourra vous orienter vers la stratégie la plus adaptée à votre situation.


[1] Article L. 711-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle [2] Dir. 89/104/CEE du 21 décembre 1999 art. 5, 2° ; Dir. 2008/05/CE du 22-10-2008 art. 5, 2° [3] Cass. com., 22 juin 2022, n° 20-19.025 [4] CA Paris 2 juin 2010 n° 08/20561, confirmé par Cass. com., 21 juin 2011, n° 10-23.262, Bull. 2011, IV, n° 105. [5] Cass. com., 16 oct. 2019, n° 17-20.940 [6] TJ Paris, 8 juill. 2022, n° 21/04905 – le Tribunal a notamment relevé des différences telles qu’un col nettement plus long, un aspect plus trapu, des épaules plus basses, une teinte des collerettes différentes, ou encore la forme de l’étiquette [7] CA Paris, pôle 5 - ch. 1, 21 nov. 2017, n° 16/09255 [8] Article L. 721-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle [9] CA Paris, 15 déc. 1993, n° 93/25039 [10] EUIPO – Affaire R 1132/2019-4 – 17 avril 2020 [11] CJUE - Affaire C‑783/19 – 9 septembre 2021 [12] TJ Paris, 11 oct. 2022, n° 21/15451 [13] Article L. 511-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle [14] En effet, contrairement aux habitudes, le champagne ne devrait pas se déguster dans des flutes, mais dans des verres de type verre à vin, afin d’apprécier le champagne à son expression maximale. [15] Cass. com., 23 juin 2021, n° 19-18.111, Publié au bulletin [16] Article L. 611-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle [17] Article L. 111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle [18] CA Douai, ch. 1 sect. 2, 19 mai 2022, n° 20/02925 [19] Article 1240 du code civil [20] TGI Paris, 3e ch. 4e sect., 22 sept. 2011, n° 10/10335 [21] CA Paris, pôle 5 - ch. 1, 21 nov. 2017, n° 16/09255


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